Après la maison La Roche, la Villa Savoye et la Villa Stein-de Monzie, on peut considérer que le Couvent Sainte-Marie de la Tourette est la quatrième œuvre de Le Corbusier qui consacre son concept de promenade architecturale intérieure.
Bien que la rampe d’accès monumentale, initialement prévue par Le Corbusier pour relier le sol au sommet du bâtiment, ait été rapidement abandonnée, elle a été remplacée par deux rampes entièrement vitrées d’un côté, qui traversent le cœur du bâtiment et le connectent à l’église.
En confiant la circulation intérieure du couvent à un jeune architecte, Iannis Xenakis, compositeur de musique stochastique (aléatoire), Le Corbusier a ajouté à sa promenade architecturale d’autres dimensions perceptuelles.
L’alternance de couloirs plus ou moins larges et de plafonds plus ou moins hauts, module l’expérience sonore du parcours des dominicains, quand la variété des ouvertures, qu’elles soient verticales, horizontales ou zénithales, crée une composition lumineuse rythmée, dont le point d’orgue est constitué par les fameux pans vitrés ondulatoires.
Dans les axes de circulation, les points de vue cadrés participent à faire admirer principalement l’architecture de la cour intérieure, et dans une moindre mesure la nature environnante.
Entrée en Le Corbuserie

Passer sous un portique d’accueil – simple gabarit en béton aux mesures du Modulor – signifie pénétrer dans un espace régi par des règles strictes, souvent issues des mathématiques.
Iannis Xenakis joue du Modulor pour réaliser les baies vitrées, comme s’il s’agissait d’une partition musicale.
Le transit intérieur des frères dominicains

Dans le couvent de la Tourette, la promenade architecturale se met souvent au diapason du recueillement.
Les cinq points de l’architecture moderne de Le Corbusier mis en œuvre offrent la liberté de composer avec la taille et la forme des vitrages, qui bordent les nombreux couloirs en façade, rendant possible une modulation de la lumière.
Ces couloirs permettent parfois de « conditionner » les frères dominicains en réduisant les distractions à proximité de leurs cellules, ou, au contraire, en amplifiant leur spiritualité à l’approche des lieux de réunion et de prière.
Les couloirs de la lumière
La première rampe d’accès

Passé l’entrée du couvent, le visiteur doit descendre un modeste escalier pour emprunter le premier couloir d’accès central en pente ascendante, qui traverse la cour du couvent et laisse apprécier l’architecture de l’aile sud sur ses pilotis.

La baie vitrée est segmentée par une alternance de bandes verticales et de fines séparations horizontales qui constituent le principe des pans de verres ondulatoire de Iannis Xenakis.

De l’extérieur, les pilotis ouvrent un point de vue sur la rampe d’accès couverte, qui fait office de cloître.
Au bout de ce premier couloir se trouve un atrium qui donne accès au réfectoire et à la salle capitulaire.

Une surélévation du toit triangulaire permet d’augmenter la hauteur de sa baie vitrée qui fait face à une petite chapelle, dont la base évoque une croix.
La deuxième rampe d’accès
Coté ouest, un second « couloir‑cloître », perpendiculaire au premier, traverse la cour en direction de l’église.

Vu depuis l’extérieur, on perçoit bien la « vibration ondulatoire » de la façade vitrée, que l’on pourrait comparer à un jeu sur les cordes d’une harpe.

La pente descendante, par un effet constructif, s’accompagne d’une élévation progressive du plafond, invitant à une élévation spirituelle avant d’entrer dans l’église.
Les couloirs Mondrianesques
Au niveau médian du bâtiment, la circulation coté cour offre une vue à travers une composition géométrique vitrée, inspirée des œuvres de Piet Mondrian. »

Pour Xenakis, ces claustras sont similaires à une grille rythmique, alternant des vides et des pleins.
Comme pour les Pans de verres ondulatoires, leur assemblage est calculé à partir du Modulor.
Les points de passage spirituels
L’église Sainte-Marie de la Tourette
Chef-d’œuvre brutaliste de Le Corbusier, l’église Sainte-Marie de la Tourette a été construite peu après la plus disruptive chapelle Notre-Dame du Haut de Ronchamp, celle qui affiche des courbes inédites pour l’architecte.

L’austérité attendue dans un lieu de culte est apportée naturellement par l’enveloppe du bâtiment, entièrement en béton brut.

L’église prend la forme d’un parallélépipède sur lequel se greffent deux éléments mis en couleur à l’intérieur : d’un côté, un petit volume rectangulaire abritant la sacristie, et à l’opposé, une crypte de forme plus organique.
Ces deux volumes achèvent le plan de l’église, qui dessine, de manière symbolique — et un peu approximative —, une croix.

La crypte, conçue en partie par Iannis Xenakis — notamment les grands canons de lumière ronds —, s’inscrit à l’extérieur dans une forme évoquant, a posteriori, une oreille.
Une interprétation qui donne du sens à un espace dédié à plusieurs autels, recevant des prières.

On retrouve le soin du détail au niveau du carrelage, qui reprend une composition proche des pans vitrés ondulatoires, et intègre très clairement la symbolique de la croix, omniprésente dans le couvent de Le Corbusier.
La Chapelle

Avec son toit triangulaire et un canon de lumière en saillie sur la pente — un principe qui sera repris plus tard pour l’église de Firminy —, la chapelle du couvent, posée sur deux murs de fondation en croix, participe au chaos formel de la cour.
Son accès, uniquement intérieur, se trouve près de l’entrée principale.

De dimension très réduite, la chapelle atteint pourtant la hauteur de trois étages, avec un plafond pyramidal percé de fines ouvertures qui diffusent une lumière zénitale.
A noter : au premier semestre 2026 le pyramidion fait l’objet d’un appel aux dons pour sa restauration.
Le chemin de la pré-méditation

Au niveau de l’accueil, qui se situe sur l’étage central du couvent, un long couloir sans portes longe la façade côté est. Il se prolonge en angle pour contourner une salle de lecture et la bibliothèque.

Les fines bandes vitrées qui bordent la totalité de ce couloir offrent une vision réduite, mais cinématographique, de l’extérieur, découpant par tranches la forêt environnante.

Le premier angle de ce couloir laisse apparaître une fenêtre occultée par un panneau incliné en béton.
C’est l’une des fameuses « fleurs de béton » qui débordent des façades à l’extérieur.

Quand on y pense, c’est l’un des concepts les plus dément de l’architecte : construire des fenêtres pour les occulter ensuite, même si le but recherché est de favoriser l’intériorité et de réduire la distraction du frère dominicain, pendant son cheminement.
Coté sud, le couloir se fait encore plus étroit, empêchant deux personnes de marcher côte à côte et imposant, de fait, un parcours silencieux.

Ce long chemin qui mène aux espaces les plus conviviaux du couvent, comme le réfectoire et la salle du chapitre est le procédé imaginé par Le Corbusier pour placer les frères dominicains dans un état réflexif.

Sur les deux étages supérieurs, de longs couloirs desservent les chambres des trois ailes du bâtiment, chacun se terminant à nouveau par une fenêtre occultée.
Les fines fenêtres en bandeau qui bordent ces couloirs sont cette fois-ci tournées sur la cour intérieure.
Le toit, terrasse la contemplation
Le vaste toit plat qui parcourt l’ensemble du couvent et de l’église, est cerné par un mur de 1,70 mètres de haut. Cela réduit considérablement la possibilité d’apprécier le paysage et l’architecture du couvent.
Ici s’arrête donc assez logiquement une promenade architecturale contemplative, qui devra être prolongée par un transport plus intérieur.
Des espaces de silence
Les cellules estampillées Modulor

Le gabarit du Modulor, 2,26 m pour le plafond et 1,83 m entre les murs, rend les 74 chambres des frères dominicains plutôt étroites, méritant bien leur appellation de cellules, même si elles bénéficient d’une petite loggia brise-soleil comme agrément.
Elles sont de taille identique aux chambres d’enfant de la cité Radieuse à Marseille, qui a été construite juste avant, et que l’on retrouvera plus tard dans d’autres « machines à habiter », comme l’unité d’habitation de Firminy.
Les 24 autres chambres réservées aux pères dominicains sont légèrement plus spacieuses car elles bénéficient d’une « rotation » du Modulor bras tendu pour déterminer leur largeur : elles se retrouvent donc aussi larges que hautes.
Toutes les cellules ont une longueur identique de 5,92 mètres, à l’exception de six autres plus petites, réservées à l’infirmerie, qui ne sont pas cotées à partir du Modulor.
La bibliothèque

Cet espace ou le silence est roi, est accolé à une salle de lecture et à la petite chapelle évoquée précédemment.
Des espaces de lumière
Toutes les salles de l’aile ouest profitent des pans vitrés ondulatoires offrant une vue spectaculaire sur une vallée verdoyante.
La salle du chapitre

Le réfectoire

L’expérience polychromique
Le Corbusier utilise, depuis la Maison La Roche, la couleur comme marqueur architectural.
Au couvent de la Tourette, les murs peints avec des tonalités vives apparaissent pour mettre en avant certaines parties de l’église.
Quant aux boiseries, elles sont toutes colorées, à l’instar de la Cité Radieuse, réalisée peu de temps avant. Mais ici, la couleur des portes — rouges, jaunes et bleues — n’est pas liée à leur étage et semble plutôt correspondre à leur fonction ou à leur importance.
Une autre particularité concerne la coloration systématique (rouge ou bleu) des arrivées et évacuations d’eau, visibles dans des lieux de passage et dans les toilettes.

Les gaines de câbles et les tuyaux colorés apparents, qui longent certains murs ou plafonds, le béton laissé dans sa teinte brute pour l’église ou la coloration signifiante de certains éléments, font écho à la devise des dominicains « veritas, la recherche de la vérité ».
Ils préfigurent une idée qui sera poussée à son paroxysme vingt ans plus tard par Renzo Piano et Richard Rogers pour le Centre Pompidou à Paris.
Thierry Allard
Photographe de France et de Navarre.
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